Par EVINA BEKONO Yannick
Parler de la citoyenneté au Cameroun est un sujet à la fois difficile épineux et complexe à la fois. Cependant il est important de nous y pencher afin de mieux éclairer l’opinion publique du pays et de ce fait entrainer une prise de conscience des populations et leur réelle implication dans le processus de développement du Cameroun.
En évoquant ce concept, le mot à retenir de prime à bord est « CITOYEN ». Stéphane HESSEL dans son ouvrage intitulé « Indignez-vous » paru aux éditions Indigènes en 2011, démontre comment les nations occidentales se sont construites autour de ce sentiment fort, ce sentiment d’appartenance et de bien commun. Il convient de souligner qu’il n’y a pas une « définition camerounaise » de la citoyenneté et une pour les autres. De manière générale, un citoyen est une personne qui relève de l’autorité et de la protection d’un Etat et par suite jouit de droits politiques et a des devoirs envers cet Etat (Anicet Le PORS, La citoyenneté, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2002,3è éd). Cette définition semble donc s’appliquer au contexte camerounais ; le citoyen, ici comme ailleurs est « membre d’une communauté politique, titulaire des droits et soumis à des obligations ».( J. Kankeu, Droit Constitutionnel, Tome1, théorie générale, 1ère éd, Editions Huit, Presses Universitaires de Dschang, 2003, p20). De façon, classique donc, la citoyenneté est un statut social (membership) codifié juridiquement et conférant un ensemble de droits aux individus à qui ce statut est reconnu.
C’est aussi un ensemble d’obligations formelles et informelles, qui exigent le plus souvent, que les individus prennent part aux activités de la cité et participent activement aux affaires publiques d’une entité politique. (Y. Déloye « De la citoyenneté nationale à la citoyenneté européenne : quelques éléments de conceptualisation », revue suisse de science politique, vol 4, 1998, p170). Que peut-on dire du Cameroun dans ce cas ? La constitution de notre pays ne répond pas directement à la question de la citoyenneté même s’il appert clairement à la lecture des six évocations du mot « citoyen » que celui-ci occupe une place centrale dans la vie de la Nation : contribution à la défense de la patrie, garantie des droits et libertés (préambule ), égalité de tous devant la loi(article 1 alinéa 2), condition pour être candidat à la plus haute fonction de l’Etat (article 6 alinéa 5),droits garantis ainsi que devoirs et obligations du domaine de la loi ( article 26 alinéa 1). Ce silence de la loi fondamentale sur qui est citoyen camerounais semble lourd de conséquences car comme l’observe Ivor Jenning, « le peuple ne peut pas décider tant que quelqu’un n’a pas déterminé qui était le peuple ». Force est donc de constater que le Camerounais n’est pas en odeur de sainteté en ce qui concerne surtout la dévotion active aux valeurs citoyennes.
Le camerounais a toujours le choix entre plusieurs conduites possibles dans la société. Mais, conscient des enjeux et des défis de sa communauté politique, il préfère la conduite qu’il estime conforme aux droits et obligations attachés à son statut et d’autres conduites dont il pourrait d’avantage tirer de bénéfices pour ses intérêts personnels, ceux de sa famille, de son groupe ethnique ou de sa communauté identitaire. Chaque individu sait que ses intérêts égoïstes peuvent s’améliorer lorsqu’il fraude le fisc, s’abstient aux élections, brule les feux rouges, détourne les fonds publics. Aussi, les autorités ne semblent pas nécessairement préoccupées par la question de l’éducation qui est un élément fondamental de la construction de la société de droit. On oublie très souvent que les électeurs de demain sont les écoliers d’aujourd’hui et que le civisme n’est pas une donnée naturelle, mais un construit politique car il s’apprend avec patience. L’éducation à la citoyenneté est le contraire des propagandes assourdissantes qui saturent l’espace public du débat et corrompent toutes les formes de le communication politique.
Plusieurs problèmes se posent donc dans le processus de réalisation de la citoyenneté au Cameroun :
Le premier concerne la morale civique dans notre pays ; celle-ci est mal en point. Le citoyen camerounais conçoit et perçoit sa citoyenneté toujours en termes de droits et pratiquement jamais en termes de devoirs.
Le second concerne le regroupement identitaire du citoyen camerounais. On note chez nous une forte identité tribale et ethnique qui conduit à l’échec de la « séparation entre l’appartenance aux groupes sociaux auxquels on adhère plus immédiatement en raison de la prescription des rôles qu’ils imposent dont parlait Leca.
Le troisième problème est celui de la désétatisation des Etats comme le relevait le Pr Luc Sindjoun. En effet le recul de l’impératif de sécurité nationale a réduit l’autorité des Etats et les raisons qu’ont les peuples à s’identifier à eux en favorisant à l’inverse l’identification à des groupes infranationaux et transnationaux. L’individu, en fonction de son intérêt peut s’identifier à une population confessionnelle, homosexuelle, professionnelle, ethnique…les membres de la diaspora se sentent –ils autant citoyen camerounais, c’est-à-dire, soumis aux mêmes obligations que ceux qui résident dans le pays ?
Bien plus, la citoyenneté, impliquant aussi la participation au débat public. Une société dans laquelle les citoyens ou les groupes représentatifs des citoyens n’arrivent plus à faire entendre leurs préoccupations par des voies démocratiques ne devrait pas etre surprise par l’émergence et l’enracinement de la violence politique, du vandalisme, du pillage, des conflits intercommunautaires ou interethniques. Les derniers évènements de Deido en décembre 2011 sont là pour nous le démontrer.
En dernier lieu, il faut dire que la crise de la citoyenneté au Cameroun est aussi liée à la mondialisation qui affecte tous les Etats, ceci parce que les individus évoluent aujourd’hui dans des sphères diasporales qui échappent désormais à l’emprise de l’état d’origine ; cette donnée affaiblit le sentiment nationaliste, les Camerounais vivant sur le territoire ne se distinguent pas particulièrement en matière de citoyenneté, par un civisme sans faille.
En définitive, la citoyenneté est un requis qui a un besoin ardent de se construire tous les jours sur la base de revendication et des acquis. Il est vrai qu’aucun gouvernement ne peut tout satisfaire, à tous les citoyens et à toutes les communautés car les revendications peuvent parfois dépasser les capacités économiques, intellectuelles et sociales disponibles. L’exercice du pouvoir sera toujours soumis aux contraintes locales et internationales, de la rareté des ressources. Non seulement tout ce qui est souhaitable et revendiqué n’est pas possible, mais aussi tout ce qui est possible et revendiqué n’est pas souhaitable. Par conséquent, dans une société démocratique, la politique devient pour le gouvernant comme pour le citoyen, l’art de mieux choisir, parmi les possibles, celui qui semble adapté et souhaitable.
Eléments bibliographiques :
1.Stéphane HESSEL.« Indignez-vous » paru aux éditions Indigènes. 2011
2. Anicet Le PORS, La citoyenneté, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2002,3è éd).
3. J. Kankeu, Droit Constitutionnel, Tome1, théorie générale, 1ère éd, Editions Huit, Presses Universitaires de Dschang, 2003, p20)
4. (Y. Déloye « De la citoyenneté nationale à la citoyenneté européenne : quelques éléments de conceptualisation », revue suisse de science politique, vol 4, 1998, p170).
5. Constitution du Cameroun
Rédigé par “EVINA BEKONO Yannick“